Monografia poświęcona jest twórczości Tahara Ben Jellouna, jednego z najbardziej znanych na świecie autorów pochodzących z Maghrebu, powieściopisarza, poety, eseisty i publicysty, członka prestiżowej Akademii Goncourtów. Opublikowane w ciągu dwóch ostatnich dekad powieści, nowele, opowiadania, teksty autobiograficzne i biograficzne oraz eseje omówione zostały na tle ewolucji stylistycznej i tematycznej twórczości pisarza, ze szczególnym uwzględnieniem związków z utworami wcześniejszymi (intertekstualność wewnętrzna). Dogłębna analiza dotyczy zjawiska hybrydyzacji gatunkowej: relacji pomiędzy baśnią wschodnią i europejskimi paradygmatami gatunkowymi. Ukazano również teksty, w których dyskurs literacki sytuuje się na styku autobiografii, fikcji, autofikcji i eseju biograficznego. Interesująca konstrukcja tożsamości postaci, łącząca aspekty autobiograficzne, biograficzne i fikcjonalne („ja transpersonalne”) przedstawiona została w kontekście dialogu pomiędzy kulturą maghrebską i europejską, który nie przestaje inspirować Tahara Ben Jellouna.
Darmowy fragment publikacji:
Tahar
Ben Jelloun
Hybridité et stratégies de dialogue
dans la prose publiée
après l’an 2000
NR 3345
Magdalena Zdrada-Cok
Tahar
Ben Jelloun
Hybridité et stratégies de dialogue
dans la prose publiée
après l’an 2000
Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego • Katowice 2015
Redaktor serii: Historia Literatur Obcych
Magdalena Wandzioch
Recenzent
Piotr Sadkowski
Redakcja: Barbara Malska
Projekt okładki i stron działowych: Emilia Dajnowicz
Redakcja techniczna: Barbara Arenhövel
Korekta: Wiesława Piskor
Łamanie: Paulina Dubiel
Copyright © 2015 by
Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego
Wszelkie prawa zastrzeżone
ISSN 0208-6336
ISBN 978-83-812-629-9
(wersja drukowana)
ISBN 978-83-8012-630-5
(wersja elektroniczna)
Wydawca
Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego
ul. Bankowa 12B, 40-007 Katowice
www.wydawnictwo.us.edu.pl
e-mail: wydawus@us.edu.pl
Wydanie I. Ark. druk. 16,5. Ark. wyd. 22,5
Papier offset. kl. III, 90 g. Cena 20 zł (+ VAT)
Druk i oprawa:
EXPOL P. Rybiński, J. Dąbek Spółka Jawna
ul. Brzeska 4, 87-800 Włocławek
Table des matières
Avant-propos
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P r e m i è r e p a r t i e
Hybridité : de Mikhaïl Bakhtine à Tahar Ben Jelloun
C h a p i t r e I
Origines et perspectives du concept
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Le dialogisme et l’hybridité dans l’analyse intertextuelle, dans la théorie des genres et dans
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la pragmatique du discours littéraire
L’hybridité dans la théorie de la culture
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L’hybridité dans la construction identitaire plurielle du Maghreb littéraire .
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C h a p i t r e II
d’Abdelkébir Khatibi et de Malek Chebel .
Enjeux interculturels de l’hybridité : le dialogue de Tahar Ben Jelloun avec Jorge Luis
Borges, Abdelkébir Khatibi, Edward W. Said, Malek Chebel
.
Le corps et les structures de l’orgie : le romanesque de Tahar Ben Jelloun lu dans la perspective
.
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La polyphonie des dires : le texte benjellounien à la recherche des Mille et Une Nuits
.
Les Mille et Une Nuits en tant que modèle transculturel et transgénérique de l’œuvre
.
Jorge Luis Borges — lecteur des Mille et Une Nuits
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Les identités plurielles : le dialogue de Tahar Ben Jelloun avec Les Mille et Une Nuits,
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Jorge Luis Borges, Edward W. Said et Abdelkébir Khatibi .
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27
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43
43
48
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53
55
6
D e u x i è m e p a r t i e
Le conte et les stratégies de dialogue :
à propos du roman et du récit bref
C h a p i t r e I
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Partir .
aveuglante absence de lumière et Partir
Dans le domaine du conteur-romancier. Le dialogue entre le roman et le conte dans
Cette aveuglante absence de lumière, Partir et Au pays
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Le conte dans le système des valeurs du texte : Moha ou la fuite dans la magie dans Cette
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Le conte au carrefour de différentes esthétiques : aspect pictural et théâtral du récit dans
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Le conte et la réalité interculturelle : le thème de l’immigration dans Au pays
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Entre l’intertextuel et l’interculturel : les analogies dans le traitement du conte dans Au pays
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Rachid l’enfant de la télé et L’École perdue : le conte dans la littérature de jeunesse
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Il était une fois des contes et des romans … : Les Mille et Une Nuits comme laboratoire
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de l’hybridité littéraire et culturelle (Cette aveuglante absence de lumière)
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Le « livre parlé » au croisement de l’écrit et de l’oral
et Les Yeux baissés
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74
80
86
88
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C h a p i t r e II
Dans le domaine du conteur-nouvelliste. Les stratégies du conte dans Amours sorcières
Problématique amoureuse du recueil : l’érotisme dérivé des Mille et Une Nuits et ses potentialités
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Le catalogue des vices : le conte en tant que miroir de la société marocaine actuelle
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L’hybridité générique d’Amours sorcières : dans l’engrenage du conte oriental et de la
dans la représentation des réalités sociales et culturelles
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nouvelle.
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T r o i s i è m e p a r t i e
L’hybridité et les stratégies autobiographiques
C h a p i t r e I
Multiplication, pluralité, ambiguïté : quelques réflexions préliminaires sur le statut du
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sujet autobiographique dans l’œuvre benjellounienne
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C h a p i t r e II
Le récit de filiation et l’écriture autofictionnelle : dialogisme et hybridations génériques
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dans Sur ma Mère
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Entre la vie et la mort : statut de la voix maternelle
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Entre l’insolence et la pudeur — la voix maternelle dans Harrouda et Sur ma Mère
Entre la tradition et la modernité : Fès et Tanger
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151
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Table des matières7
Entre le père et la mère : intertextualité interne entre Sur ma Mère et Jour de silence
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à Tanger
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Entre l’Orient et l’Occident : Lalla Fatma et Zilli face au vieillissement et à la mort
Entre l’autobiographisme et l’écriture ethnographique .
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170
174
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C h a p i t r e III
Le roman autobiographique : l’ambivalence des jeux polyphoniques
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L’espace autobiographique et les jeux transidentitaires : Le Dernier ami
Le Bonheur conjugal : l’impasse du dialogue interculturel ?
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193
C h a p i t r e IV
La correspondance des arts à la frontière entre la fiction et l’essai : enjeux (auto)bio-
graphiques et transesthétiques de l’écriture
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Tahar Ben Jelloun, Jean Genet, Alberto Giacometti : l’expérience artistique dans un réseau
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Autour de l’orientalisme : Tahar Ben Jelloun, Henri Matisse et Eugène Delacroix — dialogue
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de l’écriture et de la peinture
de reflets spéculaires
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211
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259
262
En guise de conclusion
Bibliographie
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Note bibliographique
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Postface
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Streszczenie
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Summary
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Table des matièresAvant-propos
Je suis un écrivain français, d’un type particulier un Français dont la langue
maternelle, affective et émotionnelle est l’arabe, un Marocain qui n’a aucun
problème d’identité, qui se nourrit de l’imaginaire populaire du Maroc et qui
ne le quitte jamais. C’est une situation intéressante du point de vue littéraire.
Le bilinguisme, la double culture, le métissage de la civilisation constituent une
chance et une richesse, ce qui permet une belle aventure1.
L’écriture de Tahar Ben Jelloun naît du dialogue entre les cultures maghrébine
et française. Elle se situe à la croisée des langues et littératures : exprimée dans
un français souvent « hospitalier » à l’égard de l’arabe et nourrie de l’imaginaire
populaire arabo-berbère. L’auteur, qui considère sa formation scolaire bilingue
franco-marocaine comme fondamentale pour son parcours intellectuel, conçoit son
activité artistique comme dialogique en elle-même. Se définir en tant qu’artiste
signifie, pour Ben Jelloun, retrouver et cultiver dans son expression poétique
l’influence des symbolistes français et des surréalistes (« j’ai découvert les
surréalistes et là je savais que la littérature française sera celle que j’utiliserai
pour tout dire »2) et — en même temps — garder les traces de sa fascination
pour les mystiques arabes (il rappelle souvent avoir découvert la poésie soufie par
l’intermédiaire de Louis Aragon3). De manière analogue, en tant que romancier,
Ben Jelloun, d’un côté, reste fidèle à l’héritage du conte : dans ses dernières
1 T. Ben Jelloun : Suis-je un écrivain arabe. Chroniques, 2004. Site officiel de Tahar Ben
Jelloun. www.taharbenjelloun.org, http://www.taharbenjelloun.org/index.php ?id=48 L= tx_
ttnews[tt_news]=169 cHash=9f0ab3da00bc641595ecf0475869d6d2 (consulté : le 15 06 2015).
2 T. Ben Jelloun : On ne parle pas le francophone. Chroniques, 2007. Site officiel de Tahar
Ben Jelloun. www.taharbenjelloun.org, http://www.taharbenjelloun.org/index.php ?id=33 L= tx_
ttnews[tt_news]=121 cHash=6af7cd43c403de613b70d05e31510a25 (consulté : le 15 06 2015).
3 « Mes premiers poèmes, je les ai écrits tout naturellement en français parce que je venais de
lire Les Yeux d’Elsa de Louis Aragon et que j’ai été bouleversé par ces poèmes largement inspirés
de la poésie amoureuse des Arabes d’Andalousie » (ibidem).
10
publications (de facture, sans doute, plus traditionnelle par rapport au roman-conte
des années 80), il continue à « raconter » plutôt qu’à écrire des histoires, comme
si, par l’oralité inhérente à sa narration, il voulait marquer son appartenance à la
grande tribu des conteurs du Maghreb. D’un autre côté, l’auteur de La Nuit sacrée
n’occulte pas son rapport à la tradition romanesque française : il reste conscient
(et le souligne souvent, en évoquant les œuvres d’Honoré de Balzac et d’Emile
Zola) que sa prose hérite des esthétiques réaliste et naturaliste du roman du XIXe
siècle4 et se prête au dialogue avec les grandes tendances du roman du XXe siècle
(l’existentialisme et le nouveau roman en premier lieu).
Vu cette position transculturelle de la prose benjellounienne, nous avons choisi
de construire notre analyse autour de deux termes que nous jugeons opératoires
dans l’épistémologie non seulement de la littérature du Maghreb mais aussi
de la littérature française des dernières décennies. Il s’agit de l’hybridité et du
dialogisme — notions-clés qui permettent de saisir et de comprendre les enjeux
interdisciplinaires, interculturels et intergénériques d’une grande partie de la
littérature actuelle. Cette étude, axée sur les textes publiés après l’an 2000, prend
pour point de départ l’idée que nous partageons avec Alfonso de Toro : en tant
que phénomène épistémologique mettant l’accent sur le caractère transculturel,
transgénérique et transtextuel de l’écriture d’aujourd’hui, l’hybridité est « une
catégorie fondamentale, vraie condition de notre temps », « le concept le plus
important de notre époque ; on le trouve un peu partout, et une large palette de
champs de travail ainsi que de disciplines en fait l’objet de diverses réflexions »5.
La notion de l’hybridité est d’importance capitale dans l’analyse des œuvres
de Tahar Ben Jelloun publiées dans les deux dernières décennies6 : en effet, les
publications récentes de l’auteur de La Nuit sacrée s’exposent à des jeux de
4 « Qu’est-ce qu’un romancier ? De toutes les définitions disponibles, je prendrai celle de Balzac
qui écrit dans Petites misères de la vie conjugale : “Il faut avoir fouillé toute la vie sociale pour être
un vrai romancier, vu que le roman est l’histoire privée des nations”. L’histoire privée des nations,
cela veut dire l’histoire des individus, l’histoire des uns et des autres, autant d’êtres qui composent
la société. Cela s’applique parfaitement au romancier appartenant à un pays du Sud. J’ajouterai
que l’écrivain est aussi témoin de son époque, témoin vigilant, actif et concerné. Avant on aurait
dit “engagé”, mais ce terme a drainé avec lui tellement de malentendus que je préfère le remplacer
par celui de concerné et responsable ». T. Ben Jelloun : Éloge de la fiction dans un pays en crise.
Chronique, 2006, http://www.taharbenjelloun.org/index.php ?id=46 tx_ttnews 5Btt_news 5D=
140 cHash=679c8edea9243a25627b0fd5a6f2195d (consulté : le 15 06 2015).
« Si nous considérons qu’un écrivain est un témoin de son époque, qu’il “fouille” la société et ses
strates, qu’il fait, à sa manière, de l’archéologie, le Maroc est un sujet inépuisable. Il suffit d’être là,
de circuler, d’écouter, d’observer ». T. Ben Jelloun : Être Marocain. Comment se définir en tant que
Marocain. Chronique, 2008, http://www.taharbenjelloun.org/index.php ?id=32 tx_ttnews[tt_news]
=93 cHash=7d958b60488832cc38b5188fe7b23f7c (consulté : le 15 06 2015).
5 A. de Toro : Épistémologies. Le Maghreb. Paris, L’Harmattan, 2009, p. 15.
6 Notre étude se limite aux textes parus jusqu au début de 2014. Nous ne prétendons nullement
à l exhaustivité vu que l auteur poursuit son activité littéraire.
Avant-propos11
dialogue à des niveaux textuels différents. Il s’agit de pratiques discursives variées
qui concernent :
— l’intertextualité restreinte (interne)7 : tout un vaste réseau d’échos, de
réminiscences, de citations et d’allusions par lequel l’auteur convoque, dans
ses textes récents, ses écrits antérieurs ;
— l’intertextualité qui explicite le lien entre la prose de Ben Jelloun et les textes
d’autres auteurs (p.ex. Samuel Beckett, Jean Genet, Albert Camus) ;
— l’interdiscursivité8 par laquelle nous comprenons de nombreuses stratégies qui
brouillent les différences entre plusieurs types de discours, ce qui va de pair
avec les pratiques transgénériques : en effet, l’écriture benjellounienne vise
à dépasser les frontières entre roman, nouvelles, conte, théâtre, témoignage, essai
et use des formes hybrides de l’expression autobiographique actuelle, telles que
fictions biographiques, autofictions, récits de filiation, fictions critiques, etc. ;
— les stratégies interdisciplinaires, ou encore les pratiques transartistiques (d’après
le vocabulaire de Gérard Genette9) qui permettent à l’auteur de rendre manifeste
le lien entre son activité littéraire et plusieurs domaines de l’art : surtout la
peinture et la sculpture (Eugène Delacroix, Henri Matisse, Paul Klee, Alberto
Giacometti), mais aussi la musique, la cinématographie, la photographie,
l’artisanat maghrébin, etc. ;
— l’interculturel qui se manifeste à travers la récurrence des motifs qui confrontent
deux ou plusieurs modèles culturels (Orient / Occident, arabité / berbérité,
rationalité / superstition, univers féminin / univers masculin, etc.) ;
— le dialogue des valeurs : fidèle au dialogisme bakhtinien, l’œuvre benjellounienne
pousse à l’extrême les modalités qui servent à mettre en concurrence différents
7 Dans Pour une théorie du Nouveau roman, Jean Ricardou distingue l’intertextualité interne
(le rapport d’un texte à lui-même) et l’intertextualité externe (le rapport d’un texte à un autre
texte) (cf. J. ricArdou : Pour une théorie du Nouveau roman. Paris, Éditions du Seuil, 1971,
p. 162). Dans Claude Simon textuellement, Ricardou définit l’intertextualité restreinte (rapports
intertextuels entre les textes du même auteur) et l’intertextualité générale (rapports entre les textes
d’auteurs différents) (cf. J. ricArdou : Claude Simon textuellement. In : Claude Simon : analyse,
théorie. Colloque de Cerisy-la-Salle du 1 au 8 juillet 1974. Sous la direction de J. ricArdou. Paris,
Éditions U.G.E. (10 / 18), 1975, p. 15). Actuellement, le terme d’intertextualité interne est utilisé,
dans plusieurs études, au sens que Ricardou a attribué à l’intertextualité restreinte. Dans la suite de
notre travail, nous considèrerons ces deux notions comme équivalentes.
8 En parlant de l’interdiscursivité, Józef Kwaterko prend pour objet d’étude des discours
hétérogènes qui véhiculent des discours appartenant à d’autres genres (théâtre, sketch, poésie)
« ainsi qu’une pluralité de styles, de registres et de modalités expressives (populaire, épique, lyrico-
révolutionnaire, pathétique, ironique ». Kwaterko démontre que l’interdiscursivité repose aussi
sur la « “pluri-accentuation” au sens bakhtinien de l’interaction des voix sociales à orientations
idéologiques opposées et génératrices de “répliques” conflictuelles, phénomène étroitement lié à celui
de la polysémie » (J. KwATerKo : Le roman québécois et ses (inter)discours. Analyses sociocritiques.
Québec, Éditions Nota Bene, 1998, p. 20).
9 Cf. G. GeneTTe : Palimpsestes. La littérature au second degré. Paris, Éditions du Seuil,
1982, pp. 536—549.
Avant-propos12
points de vue ; territoire du dialogue par excellence, l’écriture se prête ainsi
à une vraie polyphonie des valeurs et des vérités.
Si, au niveau du corpus, notre choix porte sur la production littéraire de Tahar
Ben Jelloun parue après l’an 2000, c’est pour plusieurs raisons. D’abord, notre
but est d’étudier les œuvres que nous jugeons encore insuffisamment explorées et
relativement peu connues, surtout en comparaison avec la prose des années 70 et
80 (Harrouda, Moha le fou, Moha le sage, L’Enfant de sable, La Nuit sacrée) qui
a apporté à l’auteur une popularité mondiale (rappelons à titre d’exemple les quarante-
trois traductions de L’Enfant de sable et de La Nuit sacrée10) et la reconnaissance
(prix Goncourt en 1987) allant de pair avec un intérêt considérable de la critique.
Il s’agit, dans la présente étude, d’entrer au cœur de l’actualité littéraire, sans
pour autant perdre de vue la prose de Tahar Ben Jelloun parue antérieurement.
Bien au contraire, les dernières œuvres, par leur allusivité et par leurs nombreuses
stratégies de dialogue (notamment le principe de la récurrence des personnages,
tel que Moha ou Mohammed de La Réclusion solitaire), se prêtent à l’étude
diachronique visant à rendre compte de l’évolution de la poétique benjellounienne.
Autrement dit, si nous nous concentrons sur l’actualité, c’est d’abord pour saisir
les lignes majeures de l’évolution de l’œuvre qui se crée depuis le début des
années 70 et qui a subi des mutations impressionnantes pour aboutir à la forme
des dernières productions.
Notre analyse s’appuie sur « l’épistémologie du Maghreb », élaborée par
Alfonso de Toro suite à des travaux d’Hommi Bhabha, Edward W. Said et
Abdelkébir Khatibi. Cette perspective méthodologique, qui s’inspire de la pensée
postmoderne (Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan, Gilles Deleuze,
Félix Guattari et autres), fait partie des études postcoloniales et francophones.
En même temps, vu la position transfrontalière de la prose de Tahar Ben
Jelloun, compte tenu de sa spécificité, nous trouvons légitime, voire nécessaire,
de la lire également dans le contexte de la littérature française. Pour ce qui est
de la taxinomie de l’œuvre, le critère de l’appartenance à la littérature établi
par Dominique Viart selon les paramètres essentiellement littéraires tels que la
publication (France) et la réception (lectorat français)11 fait considérer la prose de
Ben Jelloun, membre de l’Académie Goncourt depuis 2008, comme faisant partie
des lettres françaises. D’autant plus que, dans la période qui nous intéresse, de
nombreux aspects de son écriture témoignent de quelques tendances importantes
présentes dans l’actualité littéraire française qui, décrites par Viart, vont toutes
dans le sens de l’effacement des frontières entre la fiction et le document12.
10 Site officiel de Tahar Ben Jelloun, http://www.taharbenjelloun.org/index.php ?id=56 L=
11 Cf. d. ViArT, B. Vercier : La littérature française au présent. Paris, Bordas, 2008, p. 10.
12 Cf. d. ViArT : Fiction et faits divers. In : d. ViArT, B. Vercier : La littérature française au
(consulté : le 15 06 2015).
présent…, pp. 235—251.
Avant-propos13
Précisons que l’auteur de Harrouda partage avec nombre d’écrivains qui
publient en France un intérêt pour des catégories génériques nouvelles qui ont
toutes en commun de se positionner dans les marges de la fiction et de se nourrir
plus que jamais du réel et du vécu ; il s’agit de genres qui déplacent constamment
la frontière entre le biographique, l’autobiographique, le fictif et le référentiel tels
que biofictions, fictions critiques, témoignages, récits de filiations, etc.
De toute évidence, la prose de Tahar Ben Jelloun abolit le clivage entre la
littérature française et francophone. D’ailleurs l’auteur lui-même qui déclare : « La
patrie de l’écrivain est la littérature et par conséquent la langue dans laquelle il
écrit »13 est l’un des quarante-quatre signataires14 du manifeste Pour une littérature-
monde en français paru dans « Le Monde » le 16 mars 2007 et publié deux mois
plus tard sous une forme augmentée dans un ouvrage collectif sous la direction
de Michel Le Bris15.
Rappelons que les signataires du manifeste, qui comparent leur prise de
position à « une révolution copernicienne », déclarent la fin de la francophonie
et rejettent le terme inventé par Onésime Reclus comme discriminatoire dans le
contexte de la littérature. En voyant le centre de la culture se déplacer aux quatre
coins du monde, ils proposent la conception de littérature-monde en français qui
rompt avec une sorte de « dogme » de la supériorité de la culture hexagonale sur les
cultures des territoires ayant subi la colonisation ; quant aux littératures issues de
l’espace postcolonial, ils les jugent trop longtemps réduites à une variante exotique.
L’apport de Tahar Ben Jelloun à l’élaboration de cette nouvelle conception de la
littérature qui rejette le dualisme français / francophone (« le dernier avatar du
colonialisme ») est considérable, vu que l’auteur a contribué à l’ouvrage collectif
Pour une littérature-monde avec l’essai La cave de ma mémoire, le toit de ma
maison sont des mots français publié dans sa version initiale sous le titre significatif
On ne parle pas le francophone16.
Si le manifeste Pour une littérature-monde en français a insisté sur la
fausseté de la distinction entre le français et le francophone, c’est que la littérature
d’expression française — quelle que soit son origine géopolitique — s’expose
à des tendances communes17. Il s’agit du fameux « retour du monde » accueilli
13 T. Ben Jelloun : Suis-je un écrivain arabe…
14 M. Barbery, T. Ben Jelloun, A. Borer, R. Brival, M. Conde, D. Daeninckx, A. Devi, A. Dugrand,
E. Glissant, J. Godbout, N. Huston, K. Kwahulé, D. Laferrière, G. Lapouge, J.-M. Laclavetine,
M. Layaz, M. Le Bris, JMG. Le Clézio, Y. Le Men, A. Maalouf, A. Mabanckou, A. Moï, W. Mouawad,
Nimrod, E. Orner, E. Orsenna, B. Peeters, P. Rambaud, G. Pineau, J.-C. Pirotte, G. Polet, P. Raynal,
J.-L.V. Raharimanana, J. Rouaud, B. Sansal, D. Sitje, B. Svit, L. Trouillot, W. N’Sondé, A. Vallaeys,
J. Vautrin, A. Velter, G. Victor, C. Vigée, A.A. Waberi.
15 Pour une littérature-monde. Sous la direction de M. le Bris et J. rouAud. Paris, Gallimard, 2007.
16 T. Ben Jelloun : On ne parle pas le francophone…
17 La relation entre les concepts tels que « littérature mondiale », « postcolonialisme », « littérature
comparée » vue dans la perspectives des théorie de Bhabha, Said, Spivak fait l’objet de l’intéressante
Avant-propos14
avec enthousiasme par les signataires du manifeste et qui signifie le désintérêt
pour le formalisme dérivé des pratiques des « nouveaux romanciers » : « Le
monde revient. Et c’est la meilleure des nouvelles. N’aura-t-il pas été longtemps
le grand absent de la littérature française ? Le monde, le sujet, le sens, l’histoire,
le “référent” : pendant des décennies ils auront été mis “entre parenthèses” par
les maîtres penseurs, inventeurs d’une littérature sans autre objet qu’elle-même,
faisant, comme il se disait alors “sa propre critique dans le mouvement même de
son énonciation” »18.
En effet, cette vision de la littérature qui se remet à l’écoute du monde converge
vers la description de l’actualité littéraire proposée par Dominique Viart et Bruno
Vercier dans leur ouvrage de 2005. Soucieux de saisir la spécificité des lettres
françaises dans les trois dernières décennies, les auteurs de La littérature française
au présent accentuent le rôle des « objets » qui s’imposent à nouveau aux écrivains,
ceux-ci étant amenés à retrouver le sujet, le réel et la mémoire autant collective que
personnelle. Tout comme les signataires du manifeste, Viart et Vercier soulignent la
rupture avec les techniques formalistes et autotéliques de la prose qui ne fuit plus
devant ce qu’ils appellent « la pression du monde » ; bien au contraire, cette prose
se préoccupe de certaines réalités propres à l’ère postcoloniale et postindustrielle
(telles que les marginalités socio-économiques, la vie des cités de banlieue, l’exode
rural, les voix de l’immigration de la seconde génération) et se sert des pratiques
culturelles en vogue (transmission orale, tradition du conte, brouillages identitaires,
rituels de sociabilité)19.
D’ailleurs, ce regain d’intérêt pour le réel — accueilli avec enthousiasme
notamment par le cercle des auteurs réunis autour du « manifeste pour la
littérature-monde » — fait l’objet de nombreuses controverses. Salutaire pour
les uns, le « retour du monde » est considéré par certains critiques littéraires
(Pierre Jourde, Jean-Philippe Domesq, Philippe Mouray, Pierre Bottura et Olivier
Rohe) comme néfaste pour les lettres qui — dans cette optique pessimiste — se
trouveraient désormais « ravalées au rang du bavardage journalistique, épigones
(car réduites à l’imitation des grands du XIXe) et dépourvues de qualités
esthétiques »20. Évoquons dans ce contexte des termes tels que « l’ère des non-
livres », « l’esthétique du vide », « le degré zéro »21 qui servent à mesurer le
déclin de la littérature.
étude de Tiphaine Samoyault qui permet de mieux saisir les enjeux contemporains des littératures
d’expression française issues de l’espace postcolonial (cf. s. TiphAine : La notion de littérature
mondiale. In : La recherche en Littérature générale et comparée en France en 2007. Bilan et
perspective. Sous la direction d’A. ToMiche et K. ZieGer. Valenciennes, PUV, 2007, pp. 313—325).
18 Pour une littérature-monde…, p. 33.
19 Cf. d. ViArT, B. Vercier : La littérature française au présent…, p. 18.
20 Cf. Z. MAlinoVsKA : Puissances du romanesque. Clermont-Ferrand, Presses Universitaires
Blaise-Pascal, 2010, pp. 22—23.
21 Ibidem.
Avant-propos15
Sans nous attarder sur ces questions d’ordre plutôt esthétique, qui intéressent
surtout la critique littéraire et qui, par ailleurs, ont fait l’objet — entre autres — de
l’ouvrage de Zuzanna Malinovska, paru en 2010, notre but est plutôt de démontrer
que l’œuvre de Tahar Ben Jelloun entre au cœur du débat sur le statut de la
littérature actuelle. Or, le romanesque benjellounien non seulement participe
de cette polémique, mais, surtout, par son évolution même, rend compte des
transformations qui redéfinissent les enjeux de la littérature et remettent en question
ses modes de représentation de l’univers.
Significative de la littérature d’expression française publiée en France,
l’évolution de la prose de Tahar Ben Jelloun s’inscrit également dans la dynamique
de l’écriture proprement marocaine. Khalid Zekhri a parfaitement démontré dans
son ouvrage Fictions du réel. Modernité romanesque et écriture du réel au Maroc
1990—2006 que la prose marocaine est, dans les dernières décennies, fortement
liée à l’actualité et entretient avec le réel des rapports de plus en plus étroits. Il
en résulte une hybridité générique importante : la vogue des romans-essais, des
picto-récits et d’autres textes qui déplacent constamment la frontière entre la
fiction et le document22. Comme l’explique l’auteur : « le regard est vite passé
d’une littérature marquée par l’autotélisme à une surdétermination de l’écriture
par le réel considéré sous l’angle d’expérience d’un Maroc en mutation qui
a connu l’émergence massive de la société civile dans les années 1990 »23. La
pratique romanesque récente de Ben Jelloun s’approche donc de ce que Zekri
considère comme de nouveaux positionnements dans le champ littéraire marocain
et voisine avec l’expérience des écrivains appartenant à la nouvelle génération
tels que Fouad Laroui, Souad Bahéchar, Kamal El-Khamlichi, Youssouf Amine
Elalamy, et autres24.
Et pourtant nous tenons à souligner que cet auteur, qui s’inscrit au cœur de
l’actualité littéraire et dont l’œuvre ne cesse d’évoluer, a publié ses premiers textes
à la charnière des années 60 et 70 en tant que représentant de la seconde génération
des écrivains marocains (appelée par Jacques Noiray « génération de 70 »25)
fortement inspirés par « la génération des fondateurs »26. Rappelons donc que,
pendant au moins quinze premières années de son activité, Tahar Ben Jelloun qui
est, sans aucun doute, l’un des plus éminents et importants écrivains francophones
de l’Afrique du Nord, représente le phénomène que Ridha Bouguerra et Sabiha
Bouguerra considèrent comme « la littérature de la transgression »27. Il s’agit d’un
22 Cf. K. ZeKri : Fictions du réel. Modernité romanesque et écriture du réel au Maroc 1990—
2006. Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 7—115.
23 Ibidem, p. 46.
24 Ibidem.
25 Cf. J. noirAy : Littératures francophones. Le Maghreb. Paris, Belin, 1996, p. 15.
26 Ibidem, p. 14.
27 Cf. r. BouGuerrA, s. BouGuerrA : Histoire de la littérature du Maghreb. Paris, Ellipses,
2010, pp. 51—72.
Avant-propos16
groupe d’auteurs nés autour de 1940 et qui débutent dans les années 60 et 70
tels que Assia Djebar, Nabile Farès, Rachid Boudjedra, Abdelkébir Khatibi,
Mohammed Khaïr-Eddine, Abdellatif Laâbi28. Ils profitent des expériences
des romanciers nés autour de 1920, tels que Mohammed Dib, Driss Chraïbi,
Kateb Yacine, en poursuivant les questionnements que ceux-là ont lancés (la
revendication identitaire, la critique sociale, la défense des opprimés, la révolte
contre l’ordre social). Ainsi, en pratiquant dans Harrouda29, Moha le fou, Moha
le sage30, La Réclusion solitaire31 l’« écriture de la violence »32, en faisant
appel à une sexualité exacerbée, en transgressant les tabous et les interdits, Ben
Jelloun approfondit la problématique abordée notamment par Chraïbi dans Le
Passé simple33 et par Boudjedra dans La Répudiation34 et développe plusieurs
stratégies scripturales annoncées par ses devanciers (innovation formelle, goût
de provocation, expression de « l’indicible »). L’écriture benjellounienne de
cette période, qui mélange la réalité et les fantasmes, qui confond la prose et la
poésie et qui défie les normes linguistiques possède plusieurs points communs
avec l’esthétique de Khaïr-Eddine (et sa « guérilla linguistique »), de Khatibi et
d’autres artistes réunis initialement autour de la revue « Souffles » fondée par
Laâbi en 196635.
En s’attribuant le rôle de « l’écrivain public »36, qui parle au nom des
défavorisés et des marginaux (assumé explicitement aussi par Mouloud Ferraoun
et Kateb Yacine37), Tahar Ben Jelloun, auteur de La Réclusion solitaire38, La plus
haute des solitudes39, Hospitalité française40, Les Yeux baissés41, prolonge, dans
l’esprit gauchiste, la problématique des inégalités sociales abordée auparavant
surtout par Mohammed Dib dans ses romans sur la misère des ouvriers (La
Grande maison42, L’Incendie43, Le Métier à tisser44, Au café45) et par Driss Chraïbi,
28 Cf. J. noirAy : Littératures francophones. Le Maghreb…, p. 15.
29 T. Ben Jelloun : Harrouda. Paris, Denoël, 1973.
30 T. Ben Jelloun : Moha le fou, Moha le sage. Paris, Éditions du Seuil, 1978.
31 T. Ben Jelloun : La Réclusion solitaire. Paris, Denoël, 1976.
32 J. noirAy : Littératures francophones. Le Maghreb…, p. 58.
33 d. chrAïBi : Le passé simple. Paris, Denoël, 1954.
34 r. BoudJedrA : La Répudiation. Paris, Denoël, 1969.
35 Cf. J. noirAy : Littératures francophones. Le Maghreb…, pp. 147—154.
36 Cf. T. Ben Jelloun : L’Écrivain public. Paris, Éditions du Seuil, 1983, pp. 104—111.
37 Cf. r. BouGuerrA, s. BouGuerrA : Histoire de la littérature du Maghreb…, pp. 35—36.
38 T. Ben Jelloun : La Réclusion solitaire. Paris, Denoël, 1976.
39 T. Ben Jelloun : La plus haute des solitudes. Paris, Éditions du Seuil, 1977.
40 T. Ben Jelloun : Hospitalité française. Paris, Éditions du Seuil, 1984, 1997.
41 T. Ben Jelloun : Les Yeux baissés. Paris, Éditions du Seuil, 1991.
42 M. diB : La Grande maison. Paris, Éditions du Seuil, 1952.
43 M. diB : L’Incendie. Paris, Éditions du Seuil, 1954.
44 M. diB : Le Métier à tisser. Paris, Éditions du Seuil, 1957.
45 M. diB : Au café. Paris, Gallimard, 1955.
Avant-propos17
auteur du premier roman de l’émigration Les Boucs46 de 1955. Sans poursuivre
cette réflexion comparative qui relève davantage de l’histoire de la littérature,
permettons-nous seulement de constater que l’œuvre de Ben Jelloun, d’un côté,
s’inspire des tendances communes propres à la prose maghrébine et possède même
une certaine dimension « collective » ; de l’autre côté, par son caractère original
et dynamique, elle contribue elle-même au renouveau de cette littérature. En effet,
Ben Jelloun reste incontestablement l’un des grands inspirateurs des tendances
actuelles du Maghreb francophone.
Précisons que, depuis ses débuts, l’œuvre narrative de Tahar Ben Jelloun
s’élaborait autour de la trame allant dans le sens de la fameuse « aventure de
l’écriture »47. L’omniprésence de la mise en abyme de l’acte d’écrire48, l’importance
du motif du livre en train de se construire et, à un plus fort degré, de se déconstruire
(au contact de la polyphonie et des bifurcations narratologiques dérivées de la
tradition des contes orientaux), de telles stratégies s’associaient à toute une gamme
des questionnements liés au statut de la littérature maghrébine d’expression
française. Car, comme le démontre Charles Bonn, même les questions concernant
la société marocaine étaient souvent abordées, dans les années 70 et 80, par le
biais de la subversion formelle49.
À partir des années 90, les aspects autoréférentiels de la prose de Tahar Ben
Jelloun se voient concurrencés par des tendances réalistes et mimétiques : les
romans réalistes et sociologiques (L’homme rompu50, Les raisins de la galère51)
alternent avec les textes (par exemple La Nuit de l’erreur52) qui — inspirés par
le conte — continuent à pratiquer la subversion formelle propre notamment
à L’Enfant de sable et à La Prière de l’absent. Parfois les deux tendances se
rencontrent au sein du même roman, c’est le cas notamment des Yeux baissés. En
effet, dans la dernière décennie du XXe siècle, Ben Jelloun s’intéresse déjà à des
techniques hybrides qui domineront dans ses modes de représentation actuelles
et qui feront l’objet de notre étude.
Il en résulte que dans l’œuvre de Tahar Ben Jelloun — qui se crée depuis plus
de quatre décennies — il n’y a de rupture ni formelle ni thématique. Il conviendrait
46 d. chrAïBi : Les Boucs. Paris, Denoël, 1955.
47 « Le roman n’est plus l’écriture d’une aventure, mais l’aventure d’une écriture ». J. ricArdou :
Pour une théorie du Nouveau roman…, p. 166.
48 Sur les stratégies de la « mise en abyme » dans l’œuvre de Ben Jelloun cf. M. FArouK :
Tahar Ben Jelloun. Étude des enjeux réflexifs dans l’œuvre. Paris, L’Harmattan, 2008.
49 Cf. ch. Bonn : Postcolonialisme et reconnaissance littéraire des textes francophones
émergents. L’Exemple de la littérature maghrébine et de la littérature issue de l’immigration. In :
J. Bessière, J.-M. MourA : Littératures postcoloniales et francophonie. Paris, Honoré Champion,
2001, pp. 33—34.
50 T. Ben Jelloun : L’homme rompu. Paris, Éditions du Seuil, 1994.
51 T. Ben Jelloun : Les raisins de la galère. Paris, Fayard, 1996.
52 T. Ben Jelloun : La Nuit de l’erreur. Paris, Éditions du Seuil, 1997.
Avant-propos18
beaucoup mieux de parler d’une transformation continue qui donne comme résultat
le triomphe des techniques mettant en relief les aspects référentiels de l’écriture aux
dépens d’autres modes d’énonciation (tels que l’autoréférentialité et les stratégies
d’insolitation du monde représenté).
Et pourtant l’auteur lui-même établit une sorte de ligne de démarcation qui nous
autorise à prendre pour point de départ les textes parus après l’an 2000 pour les
confronter avec ceux qui les ont précédés. À savoir : dans L’Auberge des pauvres,
roman de 1999, l’histoire se construit autour de la figure d’un écrivain marocain qui,
écrasé par le poids du réel, part pour Naples. Il est convié à participer à un concours
littéraire organisé à l’occasion (et c’est très significatif) de l’entrée de la ville dans le
troisième millénaire. Désirant y créer sa propre version d’Ulysse, le personnage (qui
partage avec l’auteur lui-même la fascination pour le roman de Joyce) aspire à « la
fuite dans un monde intérieur, dans un univers de liberté et de création »53. Ainsi,
(comme nous l’avons déjà démontré à l’occasion d’une analyse plus détaillée54)
L’Auberge des pauvres est un roman du romancier qui révise son projet d’écriture.
De ce point de vue, il devrait donc être lu comme la réalisation la plus complète
de la métadiscursivité présente dans l’œuvre de Ben Jelloun depuis Harrouda. Or,
cette histoire aboutit, paradoxalement, à une sorte d’acte de divorce d’avec le roman
replié subversivement sur sa propre forme. En effet, ayant parcouru son labyrinthe
napolitain, après la descente dans le souterrain de ses propres fantasmes et fortement
éprouvé par son œuvre, le héros — une sorte de double de l’auteur — préfère rentrer
dans son pays pour affronter directement la réalité marocaine55.
Lue dans la perspective de l’évolution du romanesque benjellounien, cette
mise en abyme correspond, paradoxalement, à une sorte de dévalorisation des
stratégies autoréférentielles. L’Auberge des pauvres illustre le cas de l’écriture qui,
dans sa quête de modalités discursives plus efficaces, arrive à se dépasser elle-
même : poursuivant ses grands questionnements, le romanesque suivra d’autres
modes de représentation.
53 T. Ben Jelloun : L’Auberge des pauvres. Paris, Gallimard, 1999, p. 272.
54 Cf. M. ZdrAdA-coK : Les représentations de Naples dans l’écriture de Tahar Ben Jelloun
(1992—1999). « Intercambio » 2009. Série II no 2, Revista da Faculdade de Letras da Universidade
do Porto, pp. 91—105, http://ler.letras.up.pt/uploads/ficheiros/5798.pdf (consulté : le 15 06 2015).
55 Remarquons en marge de notre réflexion que L’Auberge des pauvres est conforme au
paradigme du récit odysséen défini par Piotr Sadkowski. En effet, après l’étape de son éloignement
du pays natal (ce qui lui permet de voir de manière lucide la réalité marocaine), le héros décide
d’effectuer le voyage de retour et ce processus est en même temps un « retour mental à soi afin de
se raconter » (p. sAdKowsKi : Récits odysséens. Le thème du retour d’exil dans l’écriture migrante
au Québec et en France. Toruń, Wydawnictwo Naukowe Uniwersytetu Mikołaja Kopernika, 2011,
p. 49). Ce qui frappe surtout c’est que le questionnement identitaire du héros possède une importante
dimension intertextuelle (le thème d’Ulysse) et autotélique (le protagoniste est un écrivain qui fait le
bilan de son activité). Et comme le constate Sadkowski, « le récit odyssséen contemporain apparaît
aussi comme un texte hautement intertextuel et autotélique » (ibidem). La problématique odysséenne
du roman mérite sans doute une réflexion plus approfondie.
Avant-propos19
Ces stratégies — résultat d’une activité scripturale féconde et dynamique —
feront l’objet de notre analyse qui vise à démontrer que le dialogisme — compris au
sens large, au-delà du contexte strictement narratologique — est une force motrice
de l’écriture de Tahar Ben Jelloun. Il s’agit donc de caractériser les structures de
dialogues dites « internes » dans l’œuvre déchirée constamment entre la fidélité
à ses thèmes et personnages et le besoin de renouveler ses formes d’expression.
Mais étudier le dialogisme benjellounien, c’est également se concentrer sur le
dialogue des genres, des esthétiques, des arts et, finalement, des cultures et des
valeurs qu’elles apportent.
Afin de cerner une problématique aussi vaste et interdisciplinaire, qui — pour
ainsi dire — nécessite une méthodologie « hybride », nous prendrons d’abord
pour fil conducteur le genre depuis toujours inhérent à l’expression de Tahar
Ben Jelloun : celui du conte. En effet, nous caractérisons les modalités de la
présence du conte et ses fonctions dans différents types de discours (roman,
nouvelle, récit de jeunesse). Ensuite, les structures dialogiques seront envisagées
dans le contexte de l’évolution des paradigmes de l’écriture autobiographique.
Si nous choisissons cette optique, c’est parce que l’autobiographie (tout comme
le conte) constitue une dimension importante de l’œuvre de Ben Jelloun depuis
Harrouda (1971) jusqu’au Bonheur conjugal (2013). Il sera donc question des
composantes de l’autobiographie et des transformations qu’elles subissent dans des
textes situés au carrefour des romans, fictions biographiques, récits de filiations,
fictions critiques, essais, pièces de théâtre, etc. Finalement, nous parlerons du
dialogue entre l’expression littéraire et d’autres arts (le cinéma, la peinture et la
sculpture) auquel le discours benjellounien s’ouvre dans sa volonté de transgresser
les frontières qui séparent différents domaines de la culture.
Cette analyse qui s’intéresse au brassage des genres littéraires possédant
deux traditions, maghrébine et européenne, se tourne également vers des
questions relevant des études culturelles. Car comme le démontrent de nombreux
spécialistes, et notamment Beïda Chikhi, l’écriture maghrébine devient l’espace
des « procédés de transcodage linguistique, de pluralité, de diversité, d’inflexions
culturelles, d’expériences de langage, de duplicité de la parole »56. Cette remarque
est pertinente dans le contexte de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun qui représente
une vision hybride de la culture perçue comme le fruit des dialogues des arts et
comme le résultat du métissage des identités.
Finalement, en analysant le discours des personnages, nous profitons, entre
autres, des apports de la pragmatique du discours littéraire pour viser le dialogisme
des valeurs transmises par différentes instances. Conformément à la méthodologie
pragmatique, seront mises à l’étude les façons dont le texte met en scène et discute
les valeurs : la polyphonie des dires et le dialogisme des voix.
56 B. chiKhi : Maghreb en textes. Écriture, histoire, savoirs et symboliques. Paris, L’Harmattan,
1996, pp. 83—84.
Avant-propos20
Quant au choix de cet éclectisme méthodologique, c’est la nature même de la
prose de Tahar Ben Jelloun qui l’exige. Impliquée dans le dialogisme des modèles
culturels, hybride génériquement, située à la frontière entre la fiction et la non-
fiction, soucieuse de présenter la diversité des points de vue concernant l’actualité,
l’œuvre en question semble fonder sa pluralité sur la formule gidienne : « Je suis
un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit »57.
Avant de procéder à notre analyse, nous trouvons utile d’évoquer, de manière
générale, les études les plus importantes consacrées à l’œuvre de Tahar Ben Jelloun.
Cette approche qui ne saurait nullement prétendre à l’exhaustivité, n’a pour objectif
que d’indiquer quelques axes principaux qui jalonnent la critique de la prose
benjellounienne.
La recherche universitaire commence à s’intéresser à la prose de l’auteur de
Harrouda surtout après le succès de L’Enfant de sable et de La Nuit sacrée et suite
à la médiatisation du Prix Goncourt qu’il a obtenu — rappelons-le — en 1987.
Les romans-poèmes tels que Harrouda, Moha le fou, Moha le sage, La Réclusion
solitaire attirent l’attention des chercheurs, mais, conformément à l’intention
de l’auteur, ils sont considérés surtout comme une expression de l’esthétique
collective propre à la génération de « Souffles ». Citons à ce propos l’ouvrage
de Marc Gontard La violence du texte. Étude sur la littérature marocaine de
langue française58 publié en 1981, dans lequel l’écriture de Tahar Ben Jelloun
est analysée dans un rapport étroit avec celles de Mostafa Nissaboury, Abdellatif
Laâbi, Mohammed Khaïr-Eddine et Abdelkébir Khatibi. Dans le même esprit
qui rend compte des tendances communes dans la prose maghrébine, Jacqueline
Arnaud propose une analyse comparative de l’écriture de Mohammed Khaïr-
Eddine, Rachid Boudjedra et Tahar Ben Jelloun59.
Quant aux premiers travaux consacrés à l’histoire d’Ahmed-Zahra, parus
encore dans les années 80 (Bernard Chanfrault — 1988, Marc Gontard —
1988, Marguerite Rivoire Zappala — 1989)60, ils accentuent les caractéristiques
principales de l’écriture benjellounienne, à savoir : l’importance du corps,
l’érotisme qui fonctionne comme un code « intersémiotique » subversif et
57 A. Gide : Si le grain ne meurt. Paris, Gallimard, 1955, p. 280.
58 M. GonTArd : La violence du texte. Étude sur la littérature marocaine de langue française.
Paris, L’Harmattan, 1981.
59 Cf. J. ArnAud : Le roman maghrébin en question chez Khaïr-Eddine, Boudjedra, Tahar Ben
Jelloun. « Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée » 1976, no 22 : Écritures et oralité
au Maghreb, deuxième semestre, pp. 59—68.
60 B. chAnFrAulT : Figure du corps et problématique de l’oralité dans “L’Enfant de sable” et
“La Nuit sacrée” de Tahar Ben Jelloun. « Revue de la faculté des lettres et des sciences humaines de
Marrakech » 1989, no 8 : Littérature marocaine de langue française : récit et discours, pp. 41—61 ;
M. GonTArd : À propos de la mort et le sexe chez T. Ben Jelloun. « Al Assas » 1988, no 83,
pp. 12—18 ; M. riVoire ZAppAlà : Les érotismes dans “La Nuit sacrée” de Tahar Ben Jelloun.
« Francofonia » 1989, no 16, pp. 99—113.
Avant-propos21
l’oralité du discours narratif (citons notamment à ce propos l’article d’Ahmed
Jabri de 1989 sur le roman-conte61). Cette dimension du roman de Tahar Ben
Jelloun continue d’inspirer la recherche dans les années 90 : dans son étude
linguistique, Ridha Bourkis analyse la sémiotique du corps en se concentrant sur
les aspects connotatifs de la langue62, Robert Elbaz parle du « langage du corps »
de Harrouda63, Othman Ben Taleb retrouve la dimension idéologique dans la
symbolique érotique de ce roman, en distinguant trois catégories : « corps-
parole », « corps charnel » et « corps social »64. Dans le chapitre Le corps et
le conte de sa monographie65, Françoise Gaudin analyse la « corporéité » du
langage et l’oralité dans Harrouda, La Réclusion solitaire, Moha le fou, Moha
le sage, L’Enfant de sable, La Nuit sacrée, Les Yeux baissés. L’analyse de cette
problématique trouve sa réalisation très approfondie, car concernant le vaste
corpus des textes parus entre 1971 et 1997, dans l’ouvrage de Rachida Saigh
Bousta Lecture des récits de Tahar Ben Jelloun66. Cette liste n’est d’ailleurs
pas exhaustive67. Rappelons encore que l’étude des procédés de l’oralité et
des composantes du conte est poursuivie, entre autres, par Laurence Kohn-
Pireaux68 et Nelly Lindenlauf69, sans oublier une publication de Robert Elbaz
et Amar Ruth70.
En même temps, les chercheurs commencent à se concentrer davantage sur les
approches narratologiques en montrant que l’écriture de Tahar Ben Jelloun résulte
61 Cf. A. JABri : Tahar Ben Jelloun ou le “roman-conte”. « Revue de la faculté des lettres et
des sciences humaines de Marrakech » 1989…, pp. 63—69.
62 Cf. r. BourKhis : Tahar Ben Jelloun : La poussière d’or et la face masquée. Paris,
L’Harmattan, 1995, pp. 71—155. L’étude de Mejri Mohammed Moncef s’appuie aussi sur la méthode
sémiotique : M.M. MonceF : Le Fonctionnement des tropes dans “La réclusion solitaire”. In :
Tahar Ben Jelloun. Stratégies d’écriture. Sous la direction de M. M’henni. Paris, L’Harmattan,
1993, pp. 73—83.
63 Cf. r. elBAZ : Tahar Ben Jelloun ou l’inassouvissement du désir narratif. Paris, L’Harmattan,
1996, pp. 79—85.
d’écriture…, pp. 51—73.
L’Harmattan, 1998, pp. 25—36.
64 Cf. o. Ben TAleB : Symbolique érotique et idéologique. In : Tahar Ben Jelloun. Stratégies
65 Cf. F. GAudin : La fascination des images. Les romans de Tahar Ben Jelloun. Paris,
66 r. sAiGh BousTA : Lecture des récits de Tahar Ben Jelloun. Écriture, mémoire et imaginaire.
Casablanca, Afrique Orient, 1999 ; cf. aussi eAdeM : Béances du récit dans “La Nuit sacrée”. In :
Tahar Ben Jelloun. Stratégies d’écriture…, pp. 119—147.
67 Cf. K. Ben ouAnès : L’Itinéraire de la Parole dans l’œuvre romanesque de Tahar Ben
Jelloun. In : Tahar Ben Jelloun. Stratégies d’écriture…, pp. 35—51.
68 Cf. l. Kohn-pireAux : Étude sur Tahar Ben Jelloun. “L’Enfant de sable”, “La Nuit sacrée”.
Paris, Ellipses, 2000, pp. 21—25.
pp. 16—87.
69 Cf. n. lindenlAuF : Tahar Ben Jelloun. “Les Yeux baissés”. Bruxelles, Labor, 1997,
70 Cf. r. elBAZ, r. AMAr : De l’oralité dans le récit benjellounien. « Le Maghreb littéraire »
1997, no 1. Sous la direction de n. redouAne et y. BénAyoun-sZMidT. [Toronto], pp. 35—53.
Avant-propos22
d’une relation fascinante entre la modernité romanesque et la tradition arabe. Ainsi
des études du métatexte, de l’architexte et surtout de l’intertexte dans les romans
des années 80 et 90 sont proposées, entre autres, par Marc Gontard (Méta-narration
et auto-référence dans “L’Enfant de sable”71 ; Le récit méta-narratif chez Tahar
Ben Jelloun. L’Intertexte borgésien72) ainsi que par Farida Laouissi (Tératologie
borgésienne dans “L’Enfant de sable” de Tahar Ben Jelloun73). Les stratégies
narratives intertextuelles et métatextuelles et surtout la typologie des mises en
abyme pratiquées par Ben Jelloun entre 1981 et 1999 font l’objet de l’ouvrage
Tahar Ben Jelloun. Étude des enjeux réflexifs dans l’œuvre74 de May Farouk.
Cette problématique est également signalée dans l’ouvrage de 2008 de Cheikh
Mouhamadou Diop, qui porte sur les représentations identitaires chez Ahmadou
Kourouma, Tahar Ben Jelloun et Abdourahman Waberi. Le chercheur procède
à une sorte d’énumération de ce qu’il appelle « les fréquentations textuelles de Ben
Jelloun » en mentionnant l’intérêt de l’auteur pour, entre autres, Nafzawi, Laclos,
Balzac, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Borges, Breton, Sartre, Camus, Simenon,
Leiris, Fanon, Djaout, Marquez75.
Il faut insister sur l’importance des études consacrées à l’espace romanesque.
Citons à ce propos le premier chapitre L’espace et le temps de l’étude déjà évoquée
de Françoise Gaudin, la monographie de Nadia Kamal-Trense76 qui traite des
images de la ville marocaine, ainsi que l’article de Mohamed El Bahi77 consacré
à l’image des cimetières, ou encore nos études consacrées à la représentation
de Fès, Tanger et Naples78. Tous ces travaux montrent que l’espace est présenté
71 M. GonTArd : Le moi étrange. Littérature marocaine de langue française. Paris, L’Harmattan,
1993, pp. 13—29.
2008.
72 M. GonTArd : Le récit méta-narratif chez Tahar Ben Jelloun. L’Intertexte borgésien. In :
Tahar Ben Jelloun. Stratégies d’écriture…, pp. 99—119.
73 F. lAouissi : Tératologie borgésienne dans “L’Enfant de sable” de Tahar Ben Jelloun. In :
Littérature maghrébine et littérature mondiale. Sous la direction de ch. Bonn et A. roTh. Würzburg,
Königshausen Neumann, 1995, pp. 181—186.
74 M. FArouK : Tahar Ben Jelloun. Étude des enjeux réflexifs dans l’œuvre. Paris, L’Harmattan,
75 Cf. Ch.M. diop : Fondements et représentations identitaires chez Ahmadou Kourouma, Tahar
Ben Jelloun et Abdourahman Waberi. Paris, L’Harmattan, 2008, p. 279.
76 N. KAMAl-Trense : Tahar Ben Jelloun. L’Écrivain des villes. Paris, L’Harmattan, 1998.
77 M. el BAhi : Le cimetière : organisation spatiale et fonctions dans l’œuvre de Tahar Ben
Jelloun. In : Regards sur la littérature marocaine. Sous la direction de M. el houssi, A. TenKoul,
S. Zoppi. Rome, Boulzoni, 2000, pp. 79—92.
78 M. ZdrAdA-coK : La norme et ses transgressions : polysémie de l’espace urbain (Fès / Tanger)
dans le romanesque de Tahar Ben Jelloun (1973—2008). « Romanica Silesiana » 2010, no 5 : Les
transgressions. Sous la direction de K. JArosZ. [Katowice, Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego] ;
M. ZdrAdA-coK : Les représentions de Naples dans l’écriture de Tahar Ben Jelloun (1992—1999).
« Intercambio » 2009. Série II no 2, Revista da Faculdade de Letras da Universidade do Porto, http://
ler.letras.up.pt/uploads/ficheiros/5798.pdf (consulté : le 15 06 2015).
Avant-propos23
toujours, chez Tahar Ben Jelloun, de manière dynamique, à travers le motif du
déplacement (exil, errance, voyage, migration) et que la mobilité du personnage
possède toujours une signification autobiographique79.
Finalement, notre attention doit être portée sur les études qui profitent de
l’épistémologie postcoloniale. Il s’agit d’un groupe de textes qui mettent l’accent
sur l’engagement de la prose de Tahar Ben Jelloun et montrent son rapport aux
idéologies modernes. Cette perspective présente, déjà chez Françoise Gaudin (Une
poétique de l’idéologie80), trouve notamment son développement dans les études
de la dimension féministe de l’œuvre (Anne-Marie Nisbet, Giovanna Trisolini)81,
dans l’analyse de la problématique religieuse (Najib Redouane)82, dans la réflexion
sur la représentation du pouvoir (Maya Hauptman)83, dans la démonstration de
l’individu en situation interculturelle (Abdallah Memmes)84 ou encore dans
l’illustration du phénomène de l’immigration, de l’exil et de l’exclusion sociale
(Maria Gubińska)85. À cela s’ajoute encore la question de l’identité métissée du
sujet (Gubińska)86, la problématique de la crise identitaire (Ahmed Mahfoudh,
Ahmed Jabri)87 et l’analyse de la dimension autobiographique des personnages et
des histoires racontées (Nadia Kamal-Trense)88.
79 Cf. R. sAiGh BousTA : L’errance-procès du lieu et mise en abyme du significant vacant : “La
Prière de l’absent”. In : ideM : Lecture des récits de Tahar Ben Jelloun…, pp. 71—104 ; F. MyoGo,
M. AndelA : L’errance dans les romans de Tahar Ben Jelloun. Paris, l’Harmattan, 2015.
80 F. GAudin : Une poétique de l’idéologie. In : ideM : La fascination des images…, pp. 49—98.
81 A.-M. nisBeT : Tahar Ben Jelloun ou l’ordre en procès. In : eAdeM : Le personnage féminin
dans le roman maghrébin de langue française. Dès indépendances à 1980. Représentations et
fonctions. Québec, Éditions Naaman de Sherbrook, 1982, pp. 71—83 ; G. Trisolini : La représentation
de la femme chez Tahar Ben Jelloun : silence et exclusion. In : Francophonie et Dialogue des cultures
dans le monde arabe. Actes du colloque organisé par L’Université Libanaise, Faculté des Lettres
et Sciences Humaines le 29, 30, 31 mars 2001. Beyrouth 2001, pp. 217—228.
82 N. redouAne : “Sur ma Mère” de Tahar Ben Jelloun. Éloge à l’obéissance filiale. In : Les
écrivains maghrébins francophones et l’Islam. Constance dans la diversité. Sous la direction de
N. redouAne. Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 95—107.
83 M. hAupTMAn : Tahar Ben Jelloun : l’influence du pouvoir politique et de la société
traditionaliste sur l’individu. Paris, Publisud, 2012.
84 A. MeMMès : Littérature maghrébine de langue française : signifiance et interculturalité.
Rabat, Éditions Okad, 1992 ; C. nys-MAZure : Tahar Ben Jelloun, le fou, le sage, écrivain public.
Tournai, La Renaissance du livre, 2004.
85 M. Gubińska : Roman parabolique sur l’immigration féminine marocaine en France : “Les
Yeux baissés” de Tahar Ben Jelloun. « Synergies Pologne » 2011, no 8, pp. 39—45.
86 M. Gubińska : La quête identitaire dans les deux romans de Tahar Ben Jelloun : “L’Enfant
de sable” et “La Nuit sacrée”. « Annales Academiae Paedagogicae Cracoviensis. Studia Romanica »
2003, vol. 2, pp. 101—107.
87 A. MAhFoudh : La crise du sujet dans le roman maghrébin de langue française. Tunis, Centre
de Publication Universitaire, 2003 ; A. JABri : La Déconstruction machinique dans “La Prière de
l’Absent”. In : Tahar Ben Jelloun. Stratégies d’écriture…, pp. 119—147.
88 n. KAMAl-Trense : Tahar Ben Jelloun. L’Écrivain des villes…, pp. 39—63, 191—209.
Avant-propos24
Cette évocation succincte et sélective des écrits critiques consacrés à la
production littéraire de l’auteur de La Nuit sacrée, nous amène à constater que
notre analyse de l’hybridité et des stratégies de dialogue dans les dernières
publications benjellouniennes constituera une sorte de prolongement de la réflexion
universitaire sur l’œuvre en question. Citons à titre d’exemple le chapitre Tahar
Ben Jelloun : “L’Enfant de sable” ou ‘le trouble dans le genre’
89 qui est une
tentative d’illustrer le concept de l’hybridité à travers l’analyse de la sexualité
d’Ahmed-Zahra. L’analyse d’Alfonso de Toro constitue une piste importante pour
notre recherche concentrée pourtant sur les dernières productions de l’auteur.
Ce bref regard porté sur quelques tendances majeures de la critique consacrée
à l’œuvre de Tahar Ben Jelloun prouve que les dernières publications de l’auteur
n’ont pas encore bénéficié de l’intérêt universitaire qu’elles méritent. Même si de
nombreux articles et monographies consacrés à la prose de Ben Jelloun embrassent
une multitude de questions d’ordre autant thématique que formel, il nous semble
utile de proposer une étude qui s’intéresse davantage à l’évolution de cette écriture
et qui la présente dans le contexte de l’actualité littéraire française et marocaine.
De plus, notre attention porte également sur les textes considérés comme mineurs
(récits, nouvelles, récits de jeunesse, essais) ou indécidables, « hybrides » du point
de vue génériques qui sont encore peu étudiés.
Notre objectif est en effet de démontrer en même temps une sorte de continuité
et de renouveau dans l’expression littéraire de Tahar Ben Jelloun. De plus, nous
espérons combler certaines lacunes surtout en ce qui concerne les stratégies
intergénériques et transartistiques, le rapport entre le fictif et le réel et l’évolution
de l’expression autobiographique.
89 A. de Toro : Épistémologies. Le Magreb…, pp. 203—210.
Avant-proposNote bibliographique
Av a n t - p r o p o s : Nous présentons l’évolution générale de la la prose de Ben Jelloun dans La
condition humaine / la condition d’écrivain. Tahar Ben Jelloun et la question de l’engagement. In :
La condition humaine dans la littérature française et francophone (Opole, Uniwersytet Opolski,
2011, pp. 351—357). Cette distinction, qui constitue un des points de départ de la présente analyse
(nous nous concentrons sur la troisième période), nous sert également de cadre général (et introductif)
dans d’autres études / articles concernant l’œuvre benjellounienne.
P r e m i è r e p a r t i e : Une première et brève approche du concept de l’hybridité a paru dans
L’hybridité dans “L’Écrivain public” et “L’Enfant de sable” de Tahar Ben Jelloun. « Romanica
Silesiana » 2011, no 6 : Postcolonialisme et fait littéraire ([Katowice, Uniwersytet Śląski], pp. 160—180).
D e u x i è m e p a r t i e : Certains points de l’analyse d’Au pays et Partir (le thème de l’immigration)
constituent un développement de la réflexion présente dans Entre le réel et l’insolite : l’image
du Maroc contemporain dans la prose de Tahar Ben Jelloun entre 1994 et 2009 (« Carnets,
revue électronique d’études françaises » 2010, no spéciale : Littératures nationales : suite ou fin,
printemps / été, pp. 43—55). En étudiant l’intertextualité interne dans ces romans, nous retravaillons
certaines séquences de Les métamorphoses de l’insolite dans le romanesque de Tahar Ben Jelloun.
In : Métamorphoses de l’insolite dans la littérature d’expression française du XVIIIe au XXIe
siècle (Katowice, Uniwersytet Śląski, 2012, pp.137—142). Dans le sous-chapitre À l’interstice de
l’intertextuel et de l’interculturel : les analogies dans le traitement du conte dans “Au pays” et “Les
Yeux baissés”, nous prenons pour point de départ l’analyse parue dans « Je suis ce qui me manque » :
quelques réflexions sur le
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